POURQUOI LE QUéBEC NE RéUSSIT PAS à SE DéFAIRE DE SA DéPENDANCE à L’AUTOMOBILE

Une sage remarque rappelle qu’on ne peut se plaindre des effets quand on consent pleinement aux causes. Et pour autant que l’urbanisme comme l’architecture montrent comment une société se rêve et se conçoit, que disent de nous nos boulevards Taschereau, nos ponts épuisés par l’achalandage et nos autoroutes surchargées de voitures de plus en plus obèses ?

Les économistes ont développé dans les années 1980 la notion de dépendance de sentier (aussi dite du chemin emprunté) pour expliquer les difficultés à s’extirper d’un modèle hérité par un « effet de verrouillage », même quand d’autres voies existent. Le paradigme de la mobilité centré sur l’automobile individuelle triomphant depuis des décennies offre un cas type de dépendance de sentier. Les solutions de transport actif permettant un autre usage des espaces publics congestionnés par de plus en plus de véhicules, électriques ou pas, ne se développent pas beaucoup et, s’ils le font, c’est trop lentement au Québec.

Le transport en commun n’a cessé de régresser en Amérique du Nord, y compris à Montréal, depuis un siècle au profit de la place croissante de l’automobile, avec la complicité des pouvoirs publics. Le réseau de trains des États-Unis Amtrak a transporté 23 millions de passagers en 2022 par rapport à 1,2 milliard de personnes en 1920, quand les trains du continent étaient les plus performants du monde.

Le premier Shinkansen, le train à grande vitesse du Japon, a commencé à circuler il y a 60 ans, en 1964. Il n’existe toujours aucun équivalent dans toutes les Amériques. Le projet de train à grande fréquence entre Québec et Toronto promis pour 2030 (qui y croit ?) circulera à une vitesse de pointe d’environ 200 km/h, soit la vitesse des bolides sur rail de la première décennie du XXe siècle…

On continue les comparaisons historiques ? À l’apogée du réseau montréalais de tramways électriques, dans les années 1930, les 55 lignes desservaient des centaines de stations sur 510 km de rail, jusque sur la Rive-Sud. Le dernier tram a été anéanti en 1959 sous la pression de la prétendue modernité du tout-à-l’auto.

Le réseau de métro montréalais inauguré en 1966 comprend maintenant 4 lignes, étendues sur 71 km desservant 68 stations. La dernière station ajoutée sur l’île l’a été en 1988, il y a plus de 35 ans. Le métro de Madrid, une ville comparable de 3,3 millions d’habitants, compte 13 lignes et près de 300 stations totalisant près de 300 km de rails.

« Il y a toute une réflexion à faire et des changements tangibles à entreprendre pour réduire l’espace occupé par l’automobile, dit David Alfaro Clark, conseiller aux affaires publiques et gouvernementales de l’Ordre des urbanistes du Québec. Il faut élargir les trottoirs, créer plus d’îlots verdis, réduire le nombre de voies de circulation. C’est un énorme chantier parce que l’espace public dont nous héritons a été conçu autour de l’automobile. Il faut quand même offrir des solutions de rechange si on veut que les gens délaissent l’auto. On a un bon réseau de base en transport en commun à Montréal, en comparaison à d’autres villes en Amérique du Nord, mais on a manifestement de la difficulté à le développer avec tous les projets qui ne se concrétisent pas. »

L’argent ne manque pourtant pas pour le transport dans ce pays riche. Seulement, des fortunes se dépensent encore et toujours en faveur des automobiles individuelles.

Trajectoire Québec, qui fait la promotion des transports collectifs, a calculé que le transport automobile coûtait 43 milliards de dollars par an aux Québécois. Il faut aussi ajouter 7,6 milliards pour des frais supplémentaires liés à la santé publique, à la sécurité routière, aux frais de justice, etc. Ces sommes astronomiques gonflent sans cesse (près de 70 % en vingt ans) comme le parc automobile enfle d’année en année.

La gratuité du système sans péage est une illusion. Les dépenses pour entretenir le « motordom », le royaume du « char », sont assumées par tous, automobilistes, cyclistes, trottinettistes ou piétons. Chaque famille québécoise de quatre personnes assume près de 7000 $ annuels en dépenses publiques pour le transport automobile.

Les automobilistes en rajoutent évidemment pour entretenir des véhicules de plus en plus coûteux, leur prix moyen chez le concessionnaire dépassant maintenant les 60 000 $. Au total, les familles possédant une voiture consacrent donc environ 20 000 $ au transport, ce qui constitue la deuxième dépense en importance d’un budget familial. À Montréal, les 16,4 milliards du transport privé consentis annuellement par les ménages correspondent à dix fois le budget annuel de la Société de transport de Montréal.

« Ce système n’est pas viable à long terme », conclut Trajectoire Québec, qui demande de freiner la croissance du parc automobile, d’instaurer le principe de l’utilisateur-payeur et d’offrir des solutions de rechange aux citoyens pour se déplacer plus rapidement et à moindre coût en utilisant autrement tout l’espace public monopolisé maintenant par l’automobile solo. « Le parc automobile croît actuellement plus rapidement que la population du Québec. Le secteur des transports accapare une part de plus en plus grande des dépenses publiques et de celles des ménages et, dans l’état actuel des choses, la situation ne peut que s’aggraver. »

On peut se plaindre des effets quand on critique fermement les causes.

Une version précédente de ce texte, qui mentionnait que le Shinkansen a commencé à circuler à plus de 500 km/h en 1964, a été corrigée.

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