DOSSIER FATIGUE éLECTRIQUE - Y A-T-IL UNE FATIGUE éLECTRIQUE DANS LE MARCHé AUTOMOBILE?

Les détracteurs des véhicules électriques se frottent les mains : ah ha ! On vous l’avait dit. La technologie coûte trop cher. Les consommateurs n’en veulent pas. Les constructeurs perdent des millions. Malgré les écueils, le marché de l’électrique est à un sommet historique et flirte même avec le point de non-retour. Les cibles de décarbonation des gouvernements ne demandent plus qu’un petit coup de volant… Premier texte d’une série à l’occasion du Salon du véhicule électrique de Montréal, qui s’ouvre vendredi : y a-t-il une fatigue dans le marché automobile ?

Dans l’automobile comme au hockey, le flambeau doit parfois changer de main. La génération des berlines compactes a cédé le haut du pavé aux VUS au début de la décennie passée. Le Toyota RAV4 a détrôné la Toyota Corolla, pourrait-on imager.

« Tasse-toi, mon oncle ! » s’écrient aujourd’hui les véhicules électriques. Car pour la première fois de l’Histoire, la nouvelle voiture la plus populaire à travers la planète est électrique. Tesla a vendu plus de 1,2 million de Model Y en 2023 pour devancer le RAV4, qui s’est vendu à 1,1 million d’exemplaires, et la Corolla, qui a trouvé 1 million d’acheteurs.

Signe des temps, le pouls de l’industrie automobile bat désormais au rythme de l’électrique. La lutte la plus captivante du moment se joue entre deux constructeurs d’autos électriques : Tesla et BYD.

Fatigue passagère

En 2023, le véhicule léger le plus vendu sur Terre a été le Model Y, la familiale la plus abordable de Tesla. La marque californienne dispute au même moment la première place des plus importants constructeurs de véhicules électriques à BYD, une société chinoise détenue en partie par des intérêts américains, la firme Berkshire Hathaway de Warren Buffett en tête.

BYD (à prononcer « Bi-ouaille-di », l’expression « Build Your Dreams » est un dérivé de cet acronyme après la fondation de l’entreprise) dit avoir vendu 526 000 véhicules électriques durant les trois derniers mois de 2023. Tesla a dû se contenter de 485 000 ventes durant la même période. La marque américaine a quand même vendu 1,8 million de véhicules électriques en 2023 — plus que tout autre constructeur.

Tesla semble néanmoins ralentie par une économie mondiale capricieuse et des taux d’emprunts élevés. Son projet de lancer un nouveau véhicule très abordable, à 25 000 $US, a du plomb dans l’aile. La concurrence est plus active, aussi, ce qui réduit sa part du marché.

Tesla n’est pas seule à temporiser : Ford a repoussé de 2025 à 2027 la production de ses véhicules électriques de prochaine génération prévue à son usine d’Oakville, en Ontario.

Ces nouvelles, forcément, inquiètent. Les investisseurs hésitent. Il y a de l’eau dans le gaz, comme on dit. Tesla a réagi en rationalisant : 10 % des effectifs seront coupés. Jamais une bonne nouvelle…

Pourtant, il s’est vendu un nombre sans précédent de véhicules électriques dans la dernière année. Leur part de marché, à 13,3 % en 2023, est un record absolu. À ce rythme, l’objectif nord-américain d’électrifier la moitié des ventes de véhicules légers en 2030 serait aisément surpassé.

Une réputation à refaire

Alors, qu’est-ce qui cloche ?

Les premiers acheteurs étaient pressés d’abandonner le moteur thermique. Les prochains acheteurs ont d’autres priorités, constate Luc Saumure, promoteur du Salon du véhicule électrique de Montréal. « Il y a eu une première vague d’acheteurs qui est aujourd’hui rassasiée, explique-t-il au Devoir. Là, il faut convaincre une nouvelle vague d’acheteurs plus difficile à capter. »

Pour le Salon du véhicule électrique de Montréal, qui s’ouvre vendredi dans un Stade olympique amputé de sa surface de jeu, ça a du bon : les constructeurs sont plus généreux. Ils sont plus nombreux et présentent davantage de nouveaux modèles : Dodge Charger EV, Fiat 500e, Polestar 3, Volkswagen ID.7…

Même Tesla, qui a largué il y a des années déjà son département de relations publiques, donne un coup de pouce. Tesla Canada fournit des véhicules que le public pourra conduire, et exposera sa camionnette Cybertruck, portières grandes ouvertes. C’est une première canadienne — le Cybertruck exposé ailleurs ces derniers mois gardait ses portes fermées.

Cet élan d’altruisme tombe à pic pour Luc Saumure et son organisation : il attend une bonne foule à son salon. La réduction annoncée de l’aide provinciale à l’achat à partir de 2025 pourrait inciter des automobilistes à précipiter leur achat d’un nouveau véhicule électrique. Québec remet jusqu’à 7000 $ sur certains modèles achetés avant la fin 2024. Ce sera 4000 $ en 2025 et 2026, puis 2000 $ en 2027.

« L’engouement devrait durer encore dans les prochains mois, prédit Luc Saumure. C’est à partir de janvier prochain qu’on assistera peut-être à une baisse de la demande, à moins que les constructeurs rajustent leurs prix. »

Des prix à la baisse ? Ce n’est pas impossible. Québec réduit son aide à l’achat, mais ses seuils de ventes de véhicules électriques ou électrifiés, eux, continueront d’augmenter, jusqu’à l’électrification totale des ventes en 2035. Pour éviter des pénalités coûteuses, les constructeurs devront trouver le moyen de séduire les consommateurs, même les plus réticents.

Un autre rythme pour le récréatif

L’électrification du transport est prévue en plusieurs temps. Les véhicules commerciaux ont cinq ans de plus pour y parvenir, soit jusqu’en 2040.

Les véhicules récréatifs suivent leur propre cadence. Les motocross, véhicules tout-terrain et autres motomarines électriques procurent une expérience généralement plus importante que leur simple utilité. Payer plus cher pour un véhicule moins performant rebute plus d’un amateur de sensations fortes. Ça explique en partie les peines et misères de constructeurs spécialisés comme Taiga Motors.

Apollo Motors, de Saint-Laurent, dans le nord-ouest de Montréal, pense avoir trouvé la bonne bougie d’allumage. À ses motos tout-terrain à essence s’ajoute un modèle tout électrique qui permet d’éviter d’autres dépenses à son propriétaire. Cette nouvelle moto peut circuler sur la voie publique, ce qui évite d’avoir à acheter une remorque ou un second véhicule, explique Alexandre Lemay, fondateur d’Apollo Motors.

« Les jeunes achètent souvent un motocross pour les sentiers, puis un scooter pour la route. Là, ils n’ont qu’à acheter une seule moto. Elle remplace donc deux véhicules », dit-il.

Apollo Motors vend annuellement 5000 véhicules. Son objectif est de vendre 1500 motos électriques cette année, pour atteindre 5000 ventes par an d’ici trois ans. « La demande est vraiment là, assure son directeur du marketing, Jean Plouffe. Il y a un peu de résistance pour commencer, mais c’est normal, c’est le début d’un nouveau cycle. »

On ne réinvente pas la roue, conclut-on chez Apollo Motors. On fait juste l’électrifier.

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